Comment Lièvre MÔRÔ gagna la fille du Roi
C'était au temps où les animaux se mariaient avec les enfants des hommes chez les Bobo-fing.
Notre roi, Kanza, avait une fille très belle et en âge de se donner un époux. Elle s'appelait Mona. Depuis quelque temps déjà, hommes et animaux de toute espèce lui faisaient la cour. Mais le roi, fort embarrassé, ne savait qui choisir dans la foule des prétendants.
Il réunit les notables du pays et leur demanda conseil. Le plus vénérable de tous, un vieillard tout cassé, se leva péniblement en s'appuyant sur son bâton noueux, et dit : « Sire, je la proposerais à qui dansera jusqu'à inonder de sa sueur la roche du village sur laquelle s'assirent nos ancêtres.» D'un commun accord, on se rangea à l'avis du vieillard. Dans la nuit claire, le tam-tam du roi publia la grande nouvelle. Et chacun de se préparer pour le grand jour.
A la cour et dans tous les quartiers du village règne une animation fébrile. On sacrifie des poulets à Montikya, le dieu du beau temps ; les Sazré, colporteurs d'étoffes, font des affaires d'or, flatteurs et prétendants, tous tiennent à s'attirer les regards de la princesse.
Soudain, les griots du roi surgissent au tournant d'une concession ; les amoureux de Mona les suivent en file indienne ; les tam-tams battent ; le roi paraît. Sur un signe de sa majesté Kanza, le silence gagne la foule. Le roi rappelle sa promesse, prend place sur un trône élevé au milieu de ses courtisans et la compétition commence, par les plus nobles, selon la coutume.
Pendant des heures et des heures, tous les prétendants à la main de Mona, hommes et animaux se disputent l'enjeu tant convoité. Les uns après les autres, ils défient leurs concurrents, sautent sur la piste, bondissent, tournoient avec un entrain endiablé jusqu'à ce qu'enfin, éreintés, ils s'écroulent sur la pierre toujours sèche, puis s'en retournent, honteux de confusion et de dépit.
Le roi s'apprête à déclarer tous les galants indignes de sa fille lorsqu'un nouvel acteur s'avance au milieu de l'assemblé et, résolument, se présente : c'est Môrô, le lièvre, tout empêtré dans un grand forokya(boubou). Un rire ironique secoue la foule ; mais lui nullement intimidé, emboit pesamment le pas au rythme des tam-tams. Les gens lassés ne portent bientôt plus le moindre intérêt aux évolutions sans grâce de ce champion inattendu. Môrô profite de l'inattention générale pour ouvrir avec une épine de petits trous dans des outres en peau gonflées d'eau et soigneusement camouflées sous ses vêtements. Bientôt l'eau goutte doucement, dégouline le long des cuisses du danseur, humecte la pierre. D'un signe, Môrô ordonne alors aux musiciens de précipiter le mouvement, rythme s'accélère. Le fourbe tout en virevoltant avec frénésie presse sur ses outres. En peu de temps, il ruisselle d'eau. Aux cris des griots, les regards de tous se fixent à nouveau sur le spectacle. On se ravise, on s'étonne à la vue du rocher maintenant tout mouillé ; les gens battent des mains au rythme des dernières mesures, acclament le vainqueur. Emu, le roi se lève et présente à la foule le fiancé de sa fille.
Quelques jours plus tard, on célébra le mariage. Môrô vécut heureux avec sa princesse Mona. Leurs descendants sont les «Sinkié»(qui ne mangent pas du lièvre). Mais tout le monde sait que les Sinkié sont des coquins qui, comme leur ancêtre Môrô, imaginent des astuces malhonnêtes pour tromper des gens et parvenir à leurs fins. De là le proverbre :« où passent les Sinkié, là servit le vol».
Conte bobo-fing, Bobo Dioulasso
Source: www.monburkina.com