3 juin 2011
Le 3 juin 2011 une opération militaire est intervenue à Bobo-Dioulasso pour mater la mutinerie qui y avait cours. Officiellement, cette expédition était conduite par la gendarmerie appuyée par des éléments du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) et des parachutistes commandos de Dédougou. Le bilan de l’opération rendu publique à ses lendemains avait fait état de six militaires morts, un civil tué par balles perdues et une centaine de mutins arrêtés. Les ratissages étaient toujours en cours.
La mutinerie de Bobo Dioulasso était la énième d’une série de manifestations qui a touché l’ensemble des garnisons du pays depuis le mois de mars de l’année en cours. Il est bien entendu que les soulèvements trouvent leurs explications dans la crise de confiance qui s’est opérée entre la troupe et la hiérarchie dans l’armée et surtout dans les conditions d’impécuniosité qui touchent les militaires à l’instar de la plupart des Burkinabè. Cependant ce que l’on a regretté et presqu’unanimement condamné, c’est la forme des revendications très violente et particulièrement préjudiciable aux civils et commerçants. A chaque occasion, du moins pour les cas de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, des mouvements spontanés des civils et commerçants ont tenté sous la colère d’en découdre avec les militaires à l’aide de slogans radicalement hostiles du genre « militaires voleurs ! ». On a frôlé à chacune de ces occasions, un affrontement très risqué aux conséquences éventuellement lourdes et périlleuses. Il fallait impérativement éviter un face-à-face militaires-civils aux lendemains des saccages, morts par balles perdues, vols, pillages, viols, vandalisme perpétrés par les jeunes soldats revendicateurs. Les 31 mai et 1er juin derniers, les mutineries à Bobo-Dioulasso ont été suivies de pillages très mal ressenties par les commerçants. La réaction de colère de ces derniers n’excluait pas de se venger des militaires. Un affrontement direct entre victimes et bourreaux paraîssait imminent. Il y avait urgence à l’éviter. C’est en tout cas le point de vue du gouvernement et de la haute hiérarchie militaire qui a initié l’opération musclée du 3 juin pour mater les mutins. Depuis cette opération, le calme - semble - revenu dans les casernes mais l’on est en droit de se poser des questions sur un certain nombre d’observations et d’exprimer des inquiétudes sur les conditions qui mettent les Burkinabè définitivement à l’abri des frayeurs que nous avons connues. Mise à part la forme déplorable des revendications, le message de fond qui a exprimé le malaise au sein de l’armée burkinabè a-t-il été véritablement compris par les autorités nationales ? Après l’opération de Bobo, va-t-on se murer dans un triomphalisme aux émanations punitives ciblées contre ses humiliateurs d’hier ou bien a-t-on sérieusement pris conscience de la nécessité d’éloigner les éléments et les pratiques qui ont été à la base du pourrissement du climat ?
Comment est-on arrivé à des mutineries dans l’armée ?
Il s’agit là de spéculations - peut-être - mais en même temps ces éléments méritent qu’on y prête attention. Par ailleurs, nous estimons que face aux situations infernales de coups de feu que nous avons vécues, la voie de presse constitue de loin le bien meilleur canal par lequel l’on peut poser les problèmes liés à notre armée. Ce n’est pas nous qui le disons, les manifestations des soldats ont révélé le mal de l’armée vis-à-vis de ses chefs. L’armée a mal notamment à certains de ses officiers supérieurs qui seraient les artisans d’une situation d’incommodité ayant gangréné le reste du commandement. C’est cette situation que la troupe a dénoncé et revendiqué des réparations consécutives à ses mauvaises conséquences. Les noms de ceux qui ont créé ces gênes dans l’armée ne font plus l’objet de mystère. Certains officiers supérieurs ont été directement visés et délogés lors des manifestations. A ce qu’il se raconte, un seul homme devenu puissant, serait à la base d’une situation où il y avait comme une classe d’officiers privilégiés proche de lui et la classe des autres officiers. La deuxième classe des officiers s’est retrouvée en train de partager les mêmes réalités d’austérité avec la troupe. Plus en contact avec la troupe, c’est cette catégorie d’officiers qui était à même de mieux comprendre son désespoir. Il s’est malheureusement trouvé que ces officiers n’avaient pas une écoute attentive et appréciée chez les proches du puissant homme. Ce qui fait que les doléances de la troupe ne sont pas suffisamment remontées et traitées avec satisfaction. Des brimades d’ordre morale, professionnel et financier se sont accumulées et ont fait le lit de la frustration. Elles ont fini par déboucher sur les mutineries que nous avons connues. L’absence de poids réel des officiers directement proches de la troupe n’a pas toujours été comprise par les soldats. Ce fait a valu souvent à la classe des « officiers sans poids » d’être accusés à tort par la troupe de ne pas mettre suffisamment d’énergie dans la défense de leurs doléances au niveau des instances de décisions. Voilà qui a pu souvent créer aussi des malentendus sans néanmoins casser relation entre la troupe et ces officiers. Lors des mutineries de Ouagadougou, seuls les officiers proches de la troupe avaient le courage et l’assurance de se montrer dehors. Toute la classe de privilégiés a dû se terrer. Certains auraient fait « talons aux fesses », pour emprunter une expression des militaires.
Comment comprendre la énième mutinerie à Bobo et l’opération militaire ?
C’est au moment où l’on pensait que le dialogue engagé par le président du Faso et le gouvernement commençait à porter fruits et surtout au lendemain d’une mission militaire ayant visé à rassurer les soldats de Bobo que ceux-ci sont entrés en mutinerie. Ce fut presqu’une surprise. C’est pourquoi certaines tentatives d’explications ne seraient pas dénuées de sens. A en croire certaines versions, il semblerait, en effet, qu’un haut gradé aurait tenu des propos du genre : « les militaires de Ouaga se sont manifesté et vous à Bobo ? » Cela aurait été vécu presque comme une invitation à entrer dans la danse. Aujourd’hui la question que des éléments, déplorant fortement les actes de pillages et de vandalisme se poseraient, c’est celle qui consiste à se demander si la mutinerie de Bobo n’a pas été stratégiquement suscitée pour créer l’occasion de mater et donner le ton du sort désormais réservé aux manifestants dans notre pays - qu’ils soient militaires ou civils ? Cette interrogation est d’autant plus pertinente que les grévistes du ministère des Finances, première manifestation d’envergure après l’opération de Bobo, ont inauguré le retour des répressions gazées de la CRS, qui depuis un certain temps se contentait d’une présence plus ou moins passive. Si l’hypothèse de la stratégie était vraie, cela voudrait dire que les mutins de Bobo se sont fait avoir comme des bébés ont servi un intérêt sans le savoir. Comment comprendre que les soulèvements dans les autres garnisons du pays, notamment à Ouagadougou où la violence de l’un d’eux a été telle que le Président du Faso aurait quitté son palais, n’ait pas fait l’objet d’une opération comme à Bobo ? Comment comprendre que des corps, qui ont eu eux -même à se mutiner dans un premier temps, en viennent à être choisis pour aller mater d’autres mutins ? Des gens dans l’armée ont-ils envisagé l’opération de Bobo comme un moyen pour reprendre la main dans une situation où ils ont visiblement perdu la face ? A qui profite la mutinerie de Bobo et l’opération qui s’en est suivie ? Les noms ? Que deviennent les questions de fonds soulevées par les manifestations des militaires ? N’y a-t-il pas des risques de voir des divisions s’opérer dans l’armée à l’instar de ce que d’autres pays ont connu ? Vers où s’achemine-t-on ? Des éléments inédits peuvent être avancés.
Source: L'Indépendant