La dure loi de la faim

Il ne pensait pas si bien dire, feu Félix Houphouët-Boigny, lorsqu’il affirmait, pénétré d’une belle inspiration, qu’«un homme qui a faim n’est pas un homme libre»! Waow, cela veut dire qu’en ce 21e siècle galopant, il y a, aujourd’hui-aujourd’hui-là, plus d’un milliard d’individus sur la planète qui ne sont pas libres. Because ils ont faim! Barack Obama aura beau dire «Yes, we can» à chacun d’eux, il n’est pas sûr qu’ils gagnent un hamburger par jour à la fin de son mandat présidentiel...

Attention, la faim dans le monde, c’est du sérieux! Et pour bien montrer qu’il faut montrer les biceps face à l’indolence généralisée qui accueille l’alerte des chiffres publiés depuis peu par l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), des grosses légumes du système onusien ont décidé de boycotter la faim. Euh, plutôt la nourriture, en déclarant une grève contre la faim, pardon, contre l’alimentation. Bon, une grève de la faim, quoi! Le big boss de la FAO, Jacques Diouf, s’y est ainsi collé, 24 heures durant. Pour bouter la faim hors de son organisation ou pour solidariser avec les affamés du monde? C’est comme on voudra, mais il a immédiatement été soutenu dans cette affaire par le super big boss de l’ONU, Ban Ki-moon, qui a attaché sa bouche pendant 24 heures aussi.

Des records recordables, à inscrire en grains de maïs dans le livre Guinness. A moins de les échanger contre des caisses de Guigui, pour qu’enfin les gens oublient, à la fois, la faim qui les torture et les promesses des gens rassasiées, de mettre les moyens pour éradiquer le fléau. Car, et c’est Jacques Sternberg qui nous l’apprend à juste titre, «la faim justifie les moyens, mais on a rarement les moyens quand on a faim». Elémentaire, mon cher Jacques! Comme quoi, un Jacques peut en cacher un autre dans les dédales de la faim, et ce n’est pas demain qu’on lui donnera une... fin de non-recevoir. Ni un chèque en blanc de 44 milliards de dollars pour réduire son impact de moitié d’ici à 2015. C’est fou, ce qu’on crie haro sur la faim, en pavant son enfer de bonnes intentions, sans se décider à délier les cordons de la bourse pour lui tordre le cou.

Et pendant que les riches se sacrifient à observer une journée «ventre vide», invitant chacun à faire de même pour sauver la planète de la faim qui décime le sixième de sa population, les «ventres vides», eux, n’ont plus qu’à squatter les «six-mètres» et autres poubelles pour trouver quelque chose à se mettre sous la dent! La faim, c’est leur lot quotidien, et il ne leur viendrait même pas à l’esprit de faire la grève contre un morceau de caillou. Au plus, rassembleront-ils encore leurs maigres forces, pour déclencher des émeutes de la faim, dans un concert de casseroles vides pour quémander un bout de pain afin de tromper leur faim.

La faim dans le monde, qui s’en préoccupe vraiment? Qui la connaît sérieusement, pour la côtoyer de près chaque minute? Des messieurs en cols blancs, nés avec une cuillère d’or coincée entre les dents et qui ne connaissent même pas le prix d’une tine de gari et l’art, si par bonheur on en a, de le gérer parcimonieusement pour ne pas aller crier famine chez le voisin une fois la dernière bouture de manioc engloutie? Avec la détermination qu’affichent les «gens bien» pour éliminer la faim dans le monde, il ne reste plus qu’aux affamés de tout poil à entonner, à la suite de Bob Marley, l’antienne du «Them belly full, that we hungry» (leurs ventres sont pleins, mais nous avons faim). Faim, faim, faim...

Source : Le Journal du Jeudi